Les entreprises vont-elles devoir désapprendre la façon dont elles innovent ?

Pour continuer à innover, les entreprises vont devoir mettre en œuvre de nouveaux modèles... quitte à désapprendre la façon dont elles ont innové jusqu'à présent.

C’est un fait, la crise sanitaire du Covid marquera durablement l’année 2020, et peut-être au-delà. L’économie française, même soutenue par le plan France Relance, sera fortement touchée. Et personne aujourd’hui ne se hasarderait sérieusement à des prédictions sur l’avenir. Quel sera l’impact de ce ralentissement de l’activité sur l’innovation ?

Technologie : une adaptation accélérée

Dans une période de crise de l’ampleur de celle de la COVID-19, le rapport au temps et aux ressources changent radicalement lorsqu’il s’agit d’innover. Contraintes de réagir et s’adapter dans l’urgence, les entreprises ont dû bouleverser leurs stratégies d’innovation élaborées à moyen et long terme et innover pour s’adapter à une situation imprévisible.

Le virage que nous venons de subir aurait pris des années en temps normal. En quelques mois, et grâce au potentiel des nouvelles technologies, nous avons dessiné une nouvelle façon de travailler et de vivre, dans un monde plus que jamais numérique. Du télétravail à la 5G, cette crise a tracé, d’une certaine manière, quelques grandes lignes du monde de demain.

Vers une innovation plus opérationnelle ?

Les entreprises cherchent à reprendre leur activité dans un contexte devenu incertain et l’innovation serait donc le remède pour sortir de la crise engendrée par la pandémie. Mais la réalité des contraintes financières et des budgets réduits les plonge dans une situation plus délicate qui n’est pas sans rappeler l’ambidextrie décrite par l’économiste James G. March en 1991, lorsqu’il met en lumière les résonances entre exploitation et exploration dans les processus organisationnels d’apprentissage. Dans ses travaux, il démontre que le succès à long terme d’une entreprise repose sur un équilibre sciemment défini entre les activités d’exploitation (la rentabilité pour assurer la viabilité actuelle) et des activités d’exploration (la prise de risque pour la viabilité future).

Or dans les prochains mois, les dépenses vont être très contraintes alors même que les comportements des consommateurs et des clients seront très difficiles à prévoir. L’innovation devra alors impérativement se concentrer sur l’aide opérationnelle qu’elle peut apporter aux différentes activités. Il y a fort à parier que la fonction innovation sera motivée désormais par :

  •  Sa contribution concrète au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise
  •  Son aspect pragmatique et efficace
  •  Son apport médiatique pour l’entreprise, en lui offrant un moyen de valoriser sa capacité d’adaptation et de transformation
  •  Sa dimension environnementale, car elle ne pourra pas faire l’économie de l’écologie, tout en parvenant à concilier impératifs économiques de court-terme et exigences environnementales de long-terme

Il est difficile dans ces conditions d’imaginer par exemple les entreprises continuer d’investir des budgets aussi importants que ceux qu’elles consacraient à des salons professionnels – pour l’instant reportés les uns après les autres - ou à d’onéreux rendez-vous annuels à Las Vegas. Tout comme il est difficile d’imaginer que les nombreuses structures d’accompagnement de startups – souvent créées pour faire de la communication pour l’institution publique qui est derrière (école, ville, département, région…) ou pour libérer l’inspiration des collaborateurs au sein des grands groupes – maintiennent des investissements aussi importants.

Les vertus de l’innovation frugale et de l’ingéniosité

L’image a marqué : Decathlon a aidé des makers à transformer des masques de plongée en masques opérationnels pour le personnel soignant grâce aux imprimantes 3D. Ce fut un symbole de la puissance et l'efficacité de l'innovation frugale, une stratégie disruptive pour développer des produits plus rapidement, mieux et moins cher.

Comme l’a décrit Ravi Nadjou, chantre de l’innovation frugale, les clés sont certainement là :

  •  Simplifier : concevoir un produit "good enough" pour répondre aux besoins essentiels des clients, comme le système M-Pesa de transfert d’argent mobile au Kenya, pays où 80% de la population n’a pas de compte bancaire, plutôt que de vouloir créer des produits hyper complexes.
  •  Chercher à réutiliser des ressources existantes et non réinventer l’existant : de grands groupes automobiles, en produisant des respirateurs, ou des spécialistes de la cosmétique, en fabriquant du gel hydroalcoolique, ont su montrer leur adaptabilité sur ce point durant la crise.
  •  Gagner en agilité en donnant la priorité à des unités de production et de distribution plus petites, à l’image de ces micro-usines pas plus grandes qu’un conteneur utilisées par des géants pharmaceutiques ou des constructeurs automobiles comme la startup Gazelle Tech.

Cette approche familière dans des pays aux ressources limitées, s’impose aux pays occidentaux qui devront repenser leur manière de soutenir l’innovation, en la redirigeant plus massivement vers des structures plus petites, PME et startups. Les entreprises vont devoir en passer par cette étape pour laquelle elles sont aujourd’hui mal préparées et certainement mal équipées, et pour lesquelles elles vont devoir désapprendre la façon dont elles ont innové au cours du dernier siècle.

Quelle que soit la forme qui sera donnée à l’innovation, tant qu’une entreprise, un dirigeant ou ses équipes continueront d’innover, c’est parce qu’ils se projetteront dans l’avenir et refuseront de baisser les bras. Et si finalement, l’innovation nous donnait tout simplement de l’espoir ?